Article écrit par Karine Grenouille du S.N.A.T pour Tatouage Magazine n°138 (janvier/février 2021) puis dans le Hors-Série Été 2021
En 2018, les statistiques dévoilent que 18% de la population française est tatouée. Le tatouage est de plus en plus exposé au travail. Surtout que les passionnés de l’encre se font tatouer des parties du corps toujours plus visibles. Ça se complique lorsque l’Ifop précise que le tatouage concerne seulement 7% des cadres supérieurs. Il faut se rendre à l’évidence, certains secteurs sont encore hostiles à l’art populaire du tatouage. Heureusement, ils deviennent de plus en plus rares !
@D.R.
Près de 15 ans après leur reconnaissance dans le droit français (Code pénal, 2001), les discriminations fondées sur l’apparence physique étaient encore suffisamment importantes dans le cadre de l’emploi pour que le Défenseur des droits s’y intéresse. Ainsi, dans une étude réalisée en 2016* auprès d’un échantillon représentatif de demandeurs d’emploi, plus de 65 % d’entre eux estimaient encore « acceptable » qu’on puisse refuser d’embaucher un candidat en raison de tatouages visibles…
Pourtant, il n’existe aucun texte dans le droit du travail qui interdise le tatouage ou le piercing. L’article L.1132-1 du Code du travail dispose en ce sens « qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire […] en raison de son apparence physique […] ». On vous voit venir, ne criez pas victoire, car le règlement intérieur de l’entreprise peut prévoir un code vestimentaire avec des restrictions imposées.
Rappel aux employeurs
En 2019, le Défenseur des droits a publié une Décision-cadre* visant à rappeler les droits et devoirs des employeurs et des employés quant à la non-discrimination. Au-delà des caractéristiques physiques de chaque individu, ce sont les éléments liés à l’expression de sa personnalité qui sont ici visés : tenues et accessoires vestimentaires, coiffure, barbe, piercings, tatouages, maquillage, etc. Il est alors rappelé que les « considérations générales liées à l’image de l’entreprise privée ou à l’obligation de dignité des fonctionnaires et agents publics ne permettent pas, en tant que telles, de justifier des restrictions générales et absolues en matière de tatouage et de piercing. Les employeurs privés et publics doivent dûment justifier le caractère approprié et proportionné de ces restrictions. »
Dans le cadre du règlement intérieur, l’employeur peut fixer un code vestimentaire au nom de l’image de marque de son entreprise, surtout si le salarié est en contact avec la clientèle. D’ailleurs, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt de 2003 que la liberté de se vêtir n’est pas une liberté fondamentale et qu’à ce titre, il peut lui être apporté des restrictions. On reste donc prudent.
Tolérance des tatouages discrets
À ce sujet, le Défenseur des droits affirme que, du fait de leur banalisation et de leur ampleur au 21e siècle, les tatouages discrets et non choquants devraient être tolérés dans le cadre professionnel pour les personnes en contact avec la clientèle ou les usagers du service public. Un principe qui a pourtant dû parfois s’affirmer sous la pression. Vous vous souvenez peut-être de l’initiative d’un syndicat de policiers revendiquant, en 2015, la possibilité de porter tatouages, barbe, moustache et bijoux… C’est seulement en 2018 que le Directeur général de la Police nationale est venu préciser les règles, notamment : « Les tatouages ne sauraient être admis dès lors qu’ils constituent un signe manifeste d’appartenance à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative ou s’ils portent atteinte aux valeurs fondamentales de la Nation.«
L’armée française, faisant face à des difficultés de recrutement, s’est quant à elle contentée d’admettre officiellement, en 2016, les tatouages « discrets et si possible non visibles« … En application de l’article L.1321-2-1 du Code du travail, le règlement intérieur peut prévoir une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, à condition que cette clause soit générale et indifférenciée. Dans l’armée ou la police et plus largement au sein de la fonction publique, ça paraît presque logique depuis la mise en place de la charte de la laïcité.
@Jesson Mata – Unsplash
Discrimination positive ?
Dans le secteur privé, force est de constater que de nombreux domaines d’activités sont moins regardants sur les tatouages : dans les milieux artistiques, culturels ou événementiels, vous risquez même de vous faire remarquer si vous n’en portez aucun… Une « partie » du secteur de l’hôtellerie-restauration est lui aussi un des plus typiques de cette tendance : preuve en sont les nombreux tatoués qu’on pouvait voir servir sur les terrasses des cafés et des brasseries, avant leur fermeture forcée. Les adresses branchées sont même soupçonnées de privilégier le recrutement des candidats portant manchettes ou tatouages visibles.
Cependant, dans la restauration gastronomique ou l’hôtellerie de luxe, une apparence physique « classique » reste de mise. Un chef de rang a été licencié après avoir décidé de porter des boucles d’oreilles au travail. La lettre de licenciement indiquait : “votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes”. La Cour de cassation a heureusement jugé son licenciement infondé (Soc., 11 janvier 2012, N° 177). En revanche, une employée de l’entreprise Disney n’a pas obtenu gain de cause après avoir été licenciée, car elle refusait de retirer ses piercings. Les consignes étaient justifiées par le port d’un costume d’époque, et donc, les piercings se révélaient anachroniques dans le cadre de ses fonctions (CA Paris 3 avril 2008, N° 06-10076, 21e ch. B, Sabato c/ Sté Euro Disney).
Restrictions fondamentales
Les mentalités ont quand même évolué en 10 ans. D’ailleurs, pour revenir à Disney, on vous l’a annoncé dans le Tatouage Magazine 141. Aux USA, le groupe a décidé de tolérer les tatouages visibles. Cependant, la taille des tatouages ne peut pas excéder la taille d’une main sur les parties visibles. Les motifs ne doivent pas contenir de nudité ou de messages offensants. Aujourd’hui, seules les exigences du poste lui-même peuvent justifier des restrictions.
Votre employeur doit inclure les restrictions vestimentaires dans le règlement intérieur ou une note de service. Si vous avez connaissances de ces règles, vous devrez dissimuler vos tatouages pour respecter la neutralité exigée de l’entreprise. D’ailleurs, on vous rappelle que les tatouages comportant des images ou des messages violents ou offensants, racistes ou antisémites, sexistes, ou encore contraires à la morale ou à l’ordre public peuvent être exclus sur le fondement de l’obligation de santé et de sécurité exigeant d’interdire la violence, le harcèlement, la discrimination ou encore le trouble à l’ordre public.
Question de style ?
La question n’est donc plus seulement d’être tatoué ou non, mais plutôt de renvoyer une image, en fonction du sujet et l’esthétique du motif, de son emplacement et de son ampleur sur le corps. Une composition florale sur la cheville, le portrait de ses enfants sur l’omoplate ou une épaule en polynésien ne seront nullement rédhibitoires pour trouver un emploi. On s’abstiendra en revanche et en toute logique d’afficher un motif comme ceux décrits dans le paragraphe précédent.
L’exemple de « Freaky Hoody« , le maître d’école intégralement tatoué, est en cela emblématique : On a pu voir que la controverse ne se fondait pas tant sur la quantité des tatouages que sur le potentiel caractère effrayant du visage tatoué. De l’aveu même de l’instituteur, il n’avait « pas trop de problème avant de faire les yeux« … C’est donc surtout après avoir fait tatouer le blanc de ses yeux en noir, une pratique non seulement extrême mais aussi extrêmement dangereuse (et interdite en France), que le professeur s’est vu retirer la charge de classes de maternelle. Si le sujet a même fait débat parmi les tatoués, l’homme « le plus tatoué de France » a donc pu continuer à exercer dans les écoles primaires, tout en poursuivant sa carrière de mannequin.
Carrières
On ignore si le nombre, la taille et la visibilité des tatouages vont encore augmenter dans les années à venir. On espère surtout que leur qualité artistique prendra toujours plus de place. Car une fois écartées les options décrites plus haut, le plus stigmatisant restera sans aucun doute un tatouage raté, ou pire, plusieurs tatouages moches ! Qu’on doive assumer une erreur de jeunesse ou un mauvais choix de tatoueur (ou de scratcheur), si votre tatouage ressemble à une grosse tâche, il risque fort de déplaire à un recruteur, et ce dans n’importe quel domaine professionnel. Que vous soyez convoqué à un entretien d’embauche ou que vous envisagiez une évolution de carrière, un changement de poste ou une simple augmentation de salaire, on ne peut que vous conseiller une tenue neutre en excluant toute excentricité inappropriée.
Gardez à l’esprit qu’un (très) beau tatouage a plus de chances d’impressionner votre interlocuteur que de le rebuter. Si vous le voyez loucher sur vos avant-bras tatoués, ou même vous interroger sur cet aspect de votre personnalité, n’hésitez pas à préciser que vos tatouages n’affectent en rien vos compétences… Ce sont elles qu’il faut défendre. En mettant l’accent sur vos qualités professionnelles, vous contribuerez à écarter toute suspicion face à vos tatouages. De l’aveu de certains employeurs, leurs recrues les plus efficaces sont parfois des tatoués… Mais ça, on ignore pourquoi !
* Documents à consulter sur www.defenseurdesdroits.fr
Vos Témoignages
Je suis Chef Sommelier. Concrètement, je sais que bosser dans les palaces ou les 3 macarons, c’est fini pour moi, même avec un CV conséquent et des compétences largement prouvées. L’apparence physique y est primordiale. @thomas.guerrault
Je suis directrice d’école et je les assume haut et fort ! Ils sont visibles et je ne fais rien pour les cacher !! @enivree
En France, soi-disant le pays de la liberté́, les tatouages peuvent poser des problèmes, même dans le porno et je sais de quoi je parle ! @alya_cash_x
Je suis infirmière. J’ai la moitié du corps tatoué, mais au travail personne ne le soupçonnerait ! @mel.ag12
Je suis conseillère principale d’éducation dans un lycée. J’ai le bras droit entièrement tatoué, la moitié du haut du dos ainsi que le mollet gauche, plus quelques-uns par-ci, par-là̀. Il y a 10 ans, un chef d’établissement a bien essayé de me faire les cacher. Il évoquait la portée soi-disant érotique (?) des tatouages, alors qu’il n’y a rien de tendancieux dans mes tatouages. Il trouvait juste que tout tatouage avait une connotation érotique… Je lui ai dit qu’en 8 ans de poste en Zone d’éducation prioritaire, cela n’avait jamais gêné́ personne, ni les élèves ni les parents. Ce n’était pas maintenant, en lycée huppé, qu’on allait commencer à m’enquiquiner avec ça. @sofiajajinski
Ingénieure-manager dans une grande entreprise, je suis toujours bras et jambes couverts et mes collègues tatoués, également. Je ne pense pas que nos supérieurs apprécieraient de nous savoir tatoué-e-s, même sans avoir de contact avec la clientèle. Ça reste un secteur très « élitiste » et conservateur… Que ce soient les piercings ou les tatouages, je suis obligée de me limiter pour assurer mon avenir professionnel. J’aurais peut-être plus de liberté́ en avançant dans ma carrière, grâce à mon expérience et à l’évolution des mœurs. @nemynom
Dans mon ancienne boite, les tatouages apparents étaient interdits. Ils avaient même pris la peine de faire des photos pour nous montrer ce qui était acceptable de ce qui ne l’était pas… @not_so_sane_eva
Je suis secrétaire médicale dans un cabinet privé, situé dans le XVIe arrondissement de Paris. Mes patrons ont 67 et 68 ans. J’ai quasi tout le corps tatoué et même le visage et ils s’en foutent royalement ! @leslierozie
Au sein de l’éducation nationale, je n’ai jamais eu de soucis avec mes différentes directions, ni avec mes élèves, ni avec leurs parents, et je suis très souvent en manches courtes. Avant d’avoir les bras tatoués, une inspectrice m’avait dit qu’elle trouvait les tatouages et les piercings déplorables. Elle pensait que ce n’était pas du tout professionnel et que ça donnait une mauvaise image aux élèves. Je me couvre les bras quand je suis inspecté, mais c’est le seul moment où je fais attention. J’ai de nombreux collègues tatoués, visibles ou non. Au départ, les élèves sont intrigués, mais ça devient rapidement naturel, car au quotidien ils voient au-delà̀ de ça. @adrienrenhold
J’ai les bras tatoués et je travaille en pharmacie, mais je n’ai pas de réflexions désagréables. Certains regards en disent long, mais je m’en fiche. Le tatouage, c’est pour moi et j’adore ça ! @freddyisa4
Je suis chef de réception dans un hôtel 4 étoiles. Dans ce domaine, il arrive encore qu’on me demande de cacher mes bras. Je pense que ça dépend de la direction. J’ai les 2 bras complètement tatoués ainsi que la poitrine et le haut du cou. Honnêtement, il y a des regards insistants, mais c’est plus de la curiosité́. Ma directrice, qui est très traditionnelle, l’a très bien accepté. La France doit encore évoluer au niveau du tatouage. J’ai fait un court séjour à Londres. À mon arrivée dans un Novotel, les réceptionnistes avaient les cheveux rouges. Ils étaient percés et tatoués. Pour autant, cela n’enlevait pas leurs compétences. Je compte faire les 2 jambes complètes et plus… Mon métier ne m’empêchera pas de continuer à me faire tatouer. @aurelia_compass
J’ai des tatouages impossibles à cacher (mains, doigts, poitrine) et pourtant, je suis hôtesse d’accueil dans une grande concession automobile. Mon employeur m’a embauché́ comme j’étais et ne m’a jamais demandé de les cacher. @sev_and_blitz