Sajin est un tatoueur coréen de 39 ans. À Séoul, le boss d’Hybrid Ink risque l’emprisonnement lorsqu’il tatoue un client. En effet, la pratique est illégale en Corée du Sud et sévèrement punie. Il faut donc être motivé pour apprendre à tatouer et trouver du matériel.
Passionné, Sajin manie les aiguilles depuis plus de 13 ans. Dans son studio privé, il encre à la perfection un style inspiré du traditionnel américain et mêlé à des influences orientales. Avis aux shops, le tatoueur n’est jamais venu en France.
Texte : Alexandra Bay
Bonjour, Sajin. Peux-tu te présenter ?
Sajin : Bonjour Tatouage Magazine. Je m’appelle Sajin et je viens de Corée du Sud. J’ai 39 ans et je travaille dans mon studio privé « Hybrid Ink » à Séoul. C’est un endroit tenu secret.
As-tu suivi une formation artistique ?
Sajin : Je n’ai jamais fréquenté d’école d’art. Depuis tout petit, j’ai toujours aimé peindre. Mais, j’ai commencé à étudier la peinture après avoir appris le tatouage. Je regardais les magazines de tattoos et les livres d’arts. Mes artistes préférés sont Hieronymus, Jérôme Bosch, Caravage, Jang Seung Eop. J’ai aussi beaucoup appris de mes amis avec lesquels j’entretiens de fortes amitiés. J’étais curieux de toutes les formes d’art. Je me pose également beaucoup de questions sur le monde qui m’entoure. Et je pense à tout cela lorsque je dessine.
Comment as-tu découvert l’art du tatouage ?
Sajin : J’ai découvert le tatouage avec mon cousin, un gangster. Il a fait 7 ans de prison. Il a un tatouage « full body » — sur le corps entier. Je le connais depuis mon enfance. Il est très gentil comme cousin, une personne normale, quoi ! C’est grâce à lui que je me suis intéressé au tatouage.
Comment es-tu devenu tatoueur ?
Sajin : J’aimais le tatouage avant de devenir tatoueur, comme beaucoup d’autres artistes. C’est au collège que j’ai eu le déclic pour cet art. À 20 ans, j’ai obtenu mon premier tatouage. J’étais tellement excité que je n’arrivais pas à dormir ! Ça reste un souvenir fort, entre la douleur et le bonheur d’être enfin tatoué. En plus, il m’a coûté très cher. Je me suis fait encrer une œuvre de Ukiyo-e sur le bras et ça reste mon tatouage favori. C’est après cette expérience que j’ai décidé de devenir artiste tatoueur. Je trouvais ça vraiment cool. Mais la pratique est illégale en Corée.
Une fois, la police coréenne a visité mon studio. J’ai perdu tout mon équipement et en plus j’ai dû payer une amende.
Sajin
As-tu bénéficié d’un apprentissage ?
Sajin : J’ai appris sur mon corps, sur mes bras et mes jambes. C’était le seul moyen d’assimiler la pratique du tatouage, car c’est une activité illégale en Corée du Sud. Quand j’ai commencé, il n’était pas possible de trouver un apprentissage. Tout était secret et l’échange des informations n’était pas aussi prolifique qu’aujourd’hui. Je ne savais pas comment utiliser l’encre, les aiguilles et les machines, etc. C’était très compliqué d’obtenir du matériel. Une machine à tatouer coûtait plus de 1000 $, une aiguille valait 10 $. Sans compter que c’était très difficile d’acheter tout ce matériel. Tout devait rester secret. Tout représentait un danger.
Depuis combien d’années tatoues-tu ?
Sajin : Ça fait maintenant 13 ans que j’exerce dans mon studio privé Hybrid Ink. C’est un endroit tenu secret. Pourtant, la police coréenne a visité mon studio, une fois. J’ai perdu tout mon équipement et en plus j’ai dû payer une amende. J’ai dû arrêter mon activité pendant un moment.
Peut-on dire que tu tires ton influence du traditionnel américain ? Quelles sont tes autres inspirations ?
Sajin : Exactement, mes designs sont basés sur le tatouage traditionnel américain. J’ai besoin d’y ajouter une forte influence orientale. Mon inspiration dépend de l’environnement où je dessine. Mon studio est sombre, avec des briques rouges et un éclairage jaune sur un mur gris. J’aime exprimer l’atmosphère de la ville et de ce que je ressens. Cela donne les lignes et les couleurs de mes dessins. Le motif en lui-même est souvent issu des demandes de mes clients. Je n’ai pas de flashs de tatouages.
Tous les tatoueurs de Corée attendent avec impatience que la situation évolue.
Sajin
Que penses-tu des évènements récents au Japon (le procès de Taiki Masuda) ?
Sajin : Je suis convaincu que la liberté des artistes tatoueurs est primordiale. C’est tellement important et pourtant ça pose un gros problème, d’un point de vue juridique. Les Japonais ont aussi eu ce problème et mes nombreux amis tatoueurs Japonais étaient très inquiets au sujet de leur métier. Je suis heureux que leur situation évolue.
Est-ce que le tatouage t’a permis de voyager ?
Sajin : Oui ! J’ai voyagé dans de nombreux endroits comme la Pologne, l’Angleterre, l’Écosse, le Luxembourg, la Belgique, les États-Unis, la Chine, le Japon, Hong-Kong et Taïwan ! J’ai participé à pas mal de conventions et de guests dans des boutiques. Par exemple, j’ai adoré travailler avec mon ami Darby Blues, c’est un Polonais. Je me suis fait beaucoup de nouveaux amis. Mais il y a tellement de très bons studios et de très bons artistes que c’est compliqué de tous les citer, ou de n’en citer que quelques-uns. Par contre, je ne suis jamais venu en France !
Comment est la scène du tatouage coréen ?
Sajin : La scène du tatouage en Corée est plus active que dans n’importe quel autre pays. Nous avons des milliers de tatoueurs rien que dans la région de Séoul. Il y a des centaines de studios de tatouage privés. Il y a tellement de bons artistes ! Cependant, le tatouage reste illégal. C’est un acte considéré comme criminel. Si vous faites un tatouage, on va vous faire payer une amende ou vous jeter en prison. J’ai connu ce type d’expériences. Je ne sais pas si un jour cela changera. Tous les tatoueurs de Corée attendent avec impatience que la situation évolue. En attendant, nous travaillons avec passion pour notre métier.
Est-ce que tu penses revenir en Europe ?
Sajin : J’aime la scène du tatouage en Europe. Je pense que je reviendrai bientôt.
Un dernier mot ?
J’espère que les lecteurs comprendront et apprécieront le tatouage de Sajin !
À bientôt en Europe.
Instagram : @sajintattoo