Lyle Tuttle, mentor du tatouage moderne

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Fraîchement débarqué de l’Iowa, Lyle Tuttle tombe amoureux de San Francisco. À l’âge de 14 ans, le gamin fugue et fait son 1er tatouage. Dans les quartiers chauds de la ville, Lyle Tuttle ouvre son premier shop en 1960. 10 ans plus tard, Janis Joplin vient se faire tatouer. La star va changer le cours de son existence. Histoire d’une légende du tatouage américain.

Le goût de l’aventure

Père du tatouage moderne, Lyle Tuttle nait le 7 octobre 1931 à Chariton, dans l’état d’Iowa, à l’est des USA. Fils d’agriculteurs, il vit une enfance paisible. Malheureusement, la canicule assèche les récoltes. La famille est contrainte de déménager. Le père de Lyle tente sa chance comme entrepreneur en Californie. Les Tuttle s’installent dans une petite maison d’Ukiah, à 200 kilomètres de San Francisco. À l’occasion du « Golden Gate », une exposition universelle, la famille se rend à Treasure Island, dans la baie de San Francisco. Âgé de 8 ans, Lyle est fasciné par la ville, « toutes ces lumières brillantes et ces grands bâtiments ». Il sent que cette vie est faite pour lui !

En 1941, c’est l’attaque de Pearl Harbor. Les Japonais bombardent la base navale de l’île d’Oahu, sur le territoire américain d’Hawaï. Pendant le conflit, de nombreux militaires rentrent en permission à Ukiah. Lyle a une dizaine d’années. Il est impressionné par les tatouages de ces grands gaillards. Il confiait : « Ces tatouages ​​étaient la preuve vivante d’une grande aventure, avec le voyage et la romance réunis. Cela signifiait que ces mecs étaient sortis de la vallée (NDLR. Ukiah). Ils étaient allés dans des endroits dont je n’avais jamais entendu parler. WOW ! »

« J’ai découvert que la seule chose qu’un enfant de 14 ans puisse faire dans une grande ville est de cirer les chaussures et boire du Coca-Cola. Et c’était à peu près tout. » — Lyle Tuttle

Premier tatouage

Épris de liberté, Lyle fuit le foyer familial à l’âge de 14 ans. Il prend le bus de la ligne Greyhound en direction de San Francisco. L’ado n’a pas peur de retrousser ses manches pour gagner un peu d’argent. Malheureusement, il est trop jeune pour travailler. Lyle racontait : « J’ai découvert que la seule chose qu’un enfant de 14 ans puisse faire dans une grande ville est de cirer les chaussures et boire du Coca-Cola. Et c’était à peu près tout. » Durant son road-trip, son attention est interpellée par une enseigne lumineuse : « Tatouage ».

Fasciné, Lyle se remémore les militaires encrés de son enfance et entre dans le shop. Le boss s’appelle Ralph Kaufman, alias « Duke » (Duc). Le gamin ne bouge plus, hypnotisé. Impatient, Ralph lui demande ce qu’il veut ? Pris de court, Lyle marmonne et regarde autour de lui. Il voit un cœur sur le mur avec « Mother » (mère). Le motif coûte 3,50 $, pile-poil le budget de l’adolescent. Lyle n’a jamais oublié ce moment : « … c’était beaucoup d’argent à l’époque. J’ai pointé et dit “Celui-là”. J’ai eu ce tatouage si vite… Je ne pouvais tout simplement pas y croire. » Plus tard, il récidive avec un ours à 2 $ sur le poignet.

« Les machines à tatouer sont des baguettes magiques parce qu’elles ont transformé plus de “pukes” (salauds) en princes que n’importe quelle baguette magique qu’on n’ait jamais vue ou entendue… même dans le tatouage actuel. » — Lyle Tuttle

De tatoué à tatoueur

Lyle Tuttle a l’encre dans la peau. Il quitte le lycée pour devenir tatoueur. Motivé, il retourne à San Francisco. À l’époque, le cercle des tatoueurs est privé. Lyle ne trouve pas d’apprentissage. Son père travaille avec le frère de Pop Eddy, un tatoueur de San Francisco. En discutant avec l’artiste, Lyle mentionne l’info et le tour est joué ! Pop Eddy accepte de lui apprendre les rudiments du métier. Le gamin du fin fond de l’Utah est surexcité.

En 1949, Lyle continue d’apprendre les ficelles du métier avec Bert, surnommé Pike (brochet). Il travaille dans sa boutique à Nu-Pike, un parc d’attractions de Long Beach. De nombreux soldats viennent se faire encrer. Fasciné, Lyle a été imprégné par les tatouages de ces hommes. Il avait une vision romantique de leur vie militaire, même s’il avait conscience de la dureté de la guerre. Il aimait profondément ces tatouages souvenirs comme des « autocollants sur un bagage ».

« Lyle aimait Bert. Il disait que Bert serait toujours son héros et qu’il espérait l’avoir rendu fier. » — Carmen F. Nyssen, Buzzworthy Tattoo History

Bert Grimm, une amitié solide

Bert Grimm a inspiré Lyle Tuttle. Toute sa vie, il a gardé un profond respect pour le « Pike ». Lyle s’est fait encrer par le tatoueur en 1957 et 1958. « Duel in the Sun » était son tatouage préféré. Sur le dos, le motif représentait un duel de deux gros aigles sur un rayon de soleil. Carmen Nyssen, historienne et arrière-petite-nièce de Bert Grimm, se souvient : « Lyle aimait Bert. Il disait qu’il serait toujours son héros et espérait l’avoir rendu fier. » Ainsi, Lyle a été marqué par la façon dont Bert traitait son entourage et sa clientèle.

Carmen poursuit : « Lyle se souvenait du temps où Bert tatouait un client. Un type est entré dans son magasin pour tenter de se battre et a voulu immédiatement attirer son attention. Bert a dit calmement au gars : “Tu ne vois pas que je tatoue. Quand j’aurai fini, je serai ravi de te parler, mais pour le moment je dois finir ce tatouage. Maintenant, je sais que tu es un homme raisonnable. Pourquoi ne pars-tu pas ? Reviens dans une heure et nous pourrons gérer cette situation. Bien sûr, le gars n’est jamais revenu. Lyle Tuttle s’étonnait de la ‘psychologie’ de Bert avec les gens ; il savait exactement quoi faire tout le temps. Et Lyle voulait aussi être comme ça et je pense qu’il était.” (Retrouvez les articles de Carmen sur son site http://www.buzzworthytattoo.com/).

“Janis Joplin était une excellente parolière. Madison Avenue n’aurait pas pu mieux dire. ‘Les personnes qui se font tatouer aiment beaucoup baiser !’ Elle était géniale.” — Lyle Tuttle

Lyle Tuttle Tattooing et Janis Joplin

En 1960, il ouvre “Lyle Tuttle Tattooing”. Il choisit de s’installer à côté de la gare routière de Greyhound. C’est un quartier interlope, mais Lyle veut recevoir toutes les clientèles. Son shop devient la destination préférée des contre-cultures de San Francisco. C’est la fierté de Lyle Tuttle. D’ailleurs sa carte professionnelle mentionne “le magasin à côté de la gare routière Greyhound”. Si son magasin ne désemplit pas ; sa renommée médiatique, il la doit à Janis Joplin.

Janis vient de former un nouveau groupe de rock Psyché, le “Kozmic Blues Band”. L’album “I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama !” est disque d’or en 1969. Le groupe joue même au festival de Woodstock. Janis est une star internationale. Avec l’héroïne, elle gère tant bien que mal cette célébrité, mais préfère chanter dans les petites salles de concert de San Francisco. Est-ce pour cette raison que Janis entre dans le shop de Lyle, ce jour-là ? Où est-il situé près de son dealer ?

Durant l’année 1970, Lyle voit arriver Janis avec sa folle chevelure, ses nombreux colliers et bracelets de métal. Ses 2 beagles l’accompagnent. Lyle a juste entendu parler de Janis à la TV et la radio. Lorsqu’il voit cette femme, il ne percute pas. Il grommelle : “Bon Dieu, laissez ces chiens dehors”. Janis s’exécute sans broncher. Il la traite comme une cliente ordinaire. Il lui tatoue un petit bracelet autour de son poignet gauche. Elle a mal, mais veut un 2e tattoo. Alors, il lui encre un petit cœur sur le sein gauche. Lyle Tuttle disait à ce sujet : “Janis a appelé ça ‘juste une petite gâterie pour les garçons. Comme du glaçage sur le gâteau.’

« 1970 a été une année exceptionnelle pour moi, 71 encore plus, et 72, mon apogée. Je suis un has-been. Mais, c’est mieux que de n’avoir jamais été. » — Lyle Tuttle

Rolling Stone et médiatisation

Le tatouage de Janis Joplin suscite un vif intérêt des médias. Malgré lui, Lyle devient un tatoueur de stars. Sa renommée est assurée. Il tatoue Cher, Jo Baker, Paul Stanley, Joan Baez, les Allman Brothers, Jim Croce, etc. Il introduit le tatouage dans le rock’n’roll. Ces deux univers sont désormais indissociables. Son corps est intégralement tatoué. Il pose torse nu en pantalon moulant, avec ses cheveux et ses pattes ébouriffés. Son look en fait un porte-parole idéal. Le beau gosse fait la couverture du magazine musical Rolling Stone, le 1er octobre 1970.

S’ensuivent alors plusieurs années de grâce pour le tatoueur. En 1971, le Wall Street Journal le consacre personnalité de l’année. En 1972, Life publie un article de fond. Il participe même au Tonight Show. Le tatouage prend alors une nouvelle dimension. Cependant, sa notoriété n’était pas appréciée par tous les cadors du tatouage. Sailor Jerry appréciait peu Lyle Tuttle. Il considérait sa médiatisation comme une promotion éhontée. Sailor Jerry avait même découpé la couverture de Rolling Stone pour la coller sur la porte de ses toilettes. Il aimait dire à ses amis et collègues qu’il s’en servait de cible. 

Malgré les railleries, Lyle aime le tatouage plus que l’argent. Il a vite compris que sa médiatisation pouvait donner une image positive et ‘respectable’ au tatouage. À ce sujet, Lyle se rappelait l’histoire d’une fille de bonne famille, mariée à un courtier. Son père, aussi courtier, avait toujours été contre son désir de tatouage. Quand il a lu l’article dans le Wall Street Journal, il a appelé sa fille pour qu’elle se fasse tatouer. S’il ne se considérait pas comme le père du tatouage moderne. Lyle Tuttle a indéniablement contribué à sa popularité dans les 70’s.


« Maintenant, le tatouage est une tendance et une mode, et les tendances et les modes s’arrêtent. » — Lyle Tuttle

Mentor d’un tatouage moderne

À la retraite, Lyle Tuttle a continué de consacrer sa vie au tatouage. En 1989, le tremblement de terre de Loma Prieta l’oblige à quitter son shop. Après 29 ans de loyaux services, Lyle Tuttle prend officiellement sa retraite. Passionné de l’encre, il ouvre ‘Lyle Tuttle Tattoo & Museum’, un studio de tatouage et musée. Grand voyageur Lyle possède la plus grande collection d’objets sur la culture du tatouage. Sa collection comprend des flashs, des machines à tatouer et même le modèle original du stylo d’Edison.

Dans les années 90, le tatouage est de nouveau autorisé aux USA. Lyle Tuttle joue un rôle primordial dans l’écriture du règlement de l’hygiène, à San Francisco. Ce texte va servir de modèle aux autres villes. Soucieux de transmettre son savoir, il va donner de nombreux séminaires dans les conventions qu’il fréquente depuis 1976. Il disait : ‘Je n’aurais jamais pensé que j’enseignerais à une classe, divulguant des secrets. Dans le passé, ça n’aurait jamais été possible.’

Une autre de ses fiertés était d’avoir tatoué au moins une personne sur chaque continent, y compris l’antarctique. Il détient le record le 21 janvier 2014. Dans la station russe Bellingshausen, il tatoue sa signature sur l’historienne Anna Felicity. Friedman. Si Lyle Tuttle a joué un rôle important dans la démocratisation du tatouage. Il ne s’est pas contenté de poser pour les médias. Il a assumé avec bienveillance son rôle de père du tatouage moderne.

Sources :

http://www.buzzworthytattoo.com

http://www.lyletuttle.com/

Propos recueillis dans les interviews :

http://www.prickmag.net/lyletuttleinterview.html

http://www.needlesandsins.com/2014/10/flashback-lyle-tuttle-interview.html

https://manifesto-21.com/lyle-tuttle-legende-du-tatouage-rencontre

Le saviez-vous ?

  • Dans les années 90, Lyle est revenu vivre dans sa maison d’enfance à Ukiah.
  • Lyle Tuttle n’était pas favorable au tatouage sur les parties visibles : mains, cou et visage. Il considérait que le tatouage était une affaire privée.
  • Lyle Tuttle s’est fait tatouer entres autres par Tahiti Félix, Painless Nell, et Bert Grimm. Il s’est fait tatouer sur 6 continents.

Alexandra Bay

+++ Auteure de LOVE, TATTOOS & FAMILY, (ISBN : 2916753214) +++ Co-Fondatrice de FREE HANDS FANZINE +++ TATTOW STORIES +++

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