Le 18 mars 1882, Irène Woodward fit ses premiers pas de Tattooed Lady, à New York. Âgée de 19 ans, la jeune femme inaugura sa carrière dans les salons du manoir The Sainclair House. Ainsi, la belle Irène devint la reine du Freakdom, le royaume des créatures étranges et fascinantes. Elle fut l’une des premières artistes à se faire tatouer pour le spectacle. Sa médiatisation inspira et ouvrit la voie à une longue lignée de princesses tatouées à l’encre bleue.
Teste : Alexandra Bay — Crédits : Ronald G. Becker Collection de Charles Eisenmann Photographies — Université de Syracuse — Photographe inconnu, Domaine public.
Irène woodward, La nouvelle reine du Freakdom
Les années 1880 signèrent l’âge d’or du freakshow, le spectacle de l’étrange. L’une de ses figures emblématiques entra en scène dans les salons de The Sinclair House. Auréolée de mystère, la luxueuse maison victorienne était le lieu idéal pour présenter cette nouvelle reine du Freakdom. Le samedi 18 mars 1882, Irène Woodward débuta officiellement sa carrière dans le manoir de Central Park. Lors d’une séance privée, la tattooed lady dévoila sa peau bleutée pour la première fois.
Assise dans un magnifique fauteuil en bois sculpté, la jeune femme de 19 ans soumit son corps au regard et à la curiosité des visiteurs durant trois longues heures. La belle Irène arborait une tenue de scène élégante et audacieuse. Le décolleté de son délicat corset en soie mettait en évidence l’encre bleutée de sa poitrine et de ses bras. Des bas transparents laissaient deviner subtilement les motifs complexes de ses tatouages sur ses jambes. Pour parfaire ce costume royal, la jolie brune aux yeux noisette portait une parure de perles nacrées autour du cou et du poignet.
Une nudité inhabituelle
Au vu du contexte historique, cette mise en avant du corps féminin était plutôt inhabituelle. Ainsi, le NY Times révélait : « Les visiteurs ont été autorisés à regarder la peau décorée de façon pittoresque sur la partie supérieure de la poitrine et du dos, les bras et la surface exposée des membres inférieurs. Miss Woodward a fait remarquer qu’elle se sentait un peu gênée d’être scrutée de cette façon, n’ayant jamais eu l’opportunité d’en faire autant, n’ayant jamais porté le costume en présence d’hommes. »
Bien que son corps dévêtu puisse être interprété comme une provocation, la belle Irène parvint à le transformer en captivante œuvre d’art. En 1883, le Memphis Daily Appeal décrit en ces termes : « Pour un observateur occasionnel, elle semblait plus habillée, mais en y regardant de plus près, ce qui ressemblait à un vêtement vaporeux s’avérait être des figures percées dans la chair. »
Des tatouages traditionnels de marin
Après cette exhibition, la presse a longuement décrit les tatouages de la Tattooed Lady, les qualifiant de véritables chefs-d’œuvre. Ils étaient réalisés au handpoke, un procédé qui consistait à utiliser un faisceau d’aiguilles et de l’encre de Chine. Son cou était orné d’une guirlande de fleurs au-dessus de laquelle volaient de jolis papillons colorés.Une représentation du coucher de soleil s’étendait sur chaque rondeur d’épaule, ornée de nombreuses étoiles. Elle portait une ruche sur son bras gauche, entourée d’un essaim d’abeilles. Ce tatouage était encerclé par deux banderoles : « Never Despair » (« Ne jamais désespérer ») et « Nothing without Labor » (« Rien sans labeur »). Son bras droit, quant à lui, était plus patriotique, arborant l’aigle américain avec une devise romantique : « Je vis et je meurs pour ceux que j’aime ».
Ses origines étaient-elles irlandaises ? La harpe, ornée d’un trèfle, se dressait fièrement sur sa peau, entourée de motifs évoquant l’amitié, l’amour et la religion : des mains se liant, des symboles de la Foi et de la Charité, un marin quittant sa demeure, un Atlas, la déesse de l’Espoir, des anges, le retour du marin, une tête d’Amérindien et des motifs typiques du traditionnel américain.
Un récit tragique
Lors de cette exhibition privée, on distribua aux visiteurs un livret intitulé : The Facts Relating to Miss Irene Woodward, the Only Tattooed Lady. Celui-ci révélait l’histoire tragique de la mystérieuse Irène. On y apprenait qu’elle était née à Dallas d’une mère inconnue. Dès l’âge de six ans, son père lui aurait tatoué une bannière ou des étoiles (selon les versions) pour ne pas la perdre lors de leurs différents périples jusqu’au Mexique.
En effet, ces pionniers exploraient les États-Unis à la recherche d’une ville florissante pour s’établir. Trouvant ce premier tatouage joli, Irène aurait demandé à son père de l’encrer du cou aux talons durant les six années suivantes. Malheureusement, il aurait été victime d’une attaque mortelle de la tribu des Utes en 1879. Effrayés par les tatouages de la jeune femme, les membres de la tribu locale décidèrent de la relâcher.
Une inspiration : Olive oatman
L’histoire d’Irène Woodward s’inspirait librement de celle, véridique, d’Olive Oatman. La jeune adolescente fut enlevée par les Yavapais, une tribu amérindienne, lorsqu’elle traversait le désert en direction du Mexique avec sa famille mormone. Puis, Olive fut recueillie et tatouée sur le menton par les Mohaves. Les aventures d’Irène Woodward captiva le public, car elles mettaient en scène des colons à la recherche de l’or, des attaques d’Indiens et un récit de captivité sous le soleil de l’Ouest.
En réalité, un manager confia au journal Evening Capital, le 25 février 1885 : « La première femme tatouée était Irene Woodward, qui était payée 60 dollars. Elle a été tatouée par un homme de New York nommé Hildebrandt [NDLR Martin, premier tatoueur de New York], qui a ensuite pris l’habitude de tatouer des femmes, y compris sa propre épouse, pour 250 dollars et en retenant un pourcentage sur son salaire. La femme de cet homme était connue sous le nom de Nora Hildebrandt. »
Irène woodward, Une Tattooed lady populaire
Le 18 mars 1882, l’entrée en scène de la belle Irène dans le monde du divertissement populaire eut un effet systémique. Nous étions aux prémices du spectacle freakshow initié par Phineas Barnum, le prince des canulars. Depuis 6 ans, l’illustre Captain Costentenus collaborait avec le bonimenteur. Le noble Grec exhibait son corps au regard fantasque de la population et Barnum contait des aventures exotiques et de tatouage forcé.
Costentenus exerça une influence déterminante dans la vocation de célèbres artistes tatoueurs et tatoués.es comme celle d’Irène Woodward qui devint sa principale concurrente. Le 19 mars 1882, le New York Dispatch écrivait : « Musée Bunnell. — La seule rivale du “Grec tatoué”, qui a fait sensation il y a quelque temps dans cette ville, est aujourd’hui Mlle Irene Woodward, qui est la seule femme au monde à avoir subi l’indignité barbare du “tatouage”. »
BUNNELL MUSEUM
En effet, le succès de son œuvre était tel que le public américain afflua vers les musées de divertissement bon marché, aussi appelés « dime museums ». Ainsi, l’américain voulait découvrir ces personnages excentriques et frissonner. Une semaine après les débuts de la Tattooed Lady, la dépêche de New York évoquait le succès du Musée de George Bunnell, protégé de Barnum : « L’activité de cette institution a été la plus importante jamais enregistrée en une semaine. Les étranges monstres de l’humanité qui y ont élu domicile s’avèrent suffisamment attrayants pour remplir le bâtiment au maximum de sa capacité. Irene Woodward, la femme tatouée, a été la vedette de la semaine dernière. »
Les salons du manoir The Sinclair House ont été le théâtre de l’émergence de la belle Irène. Elle charma la presse au point où elle fut dithyrambique au sujet de la créature tatouée. Les journaux l’ont décrite comme étant à la fois jolie et modeste, mettant l’accent sur son éducation raffinée, sa conversation charmante et son intelligence supérieure. Ils ont également souligné qu’elle était à l’aise dans sa peau. Elle se distingua rapidement par son assurance, éclipsant ainsi la carrière montante de Nora Hildebrandt. La femme du premier tatoueur new-yorkais fit également sa première apparition en tant que Tattooed Lady au cours du même mois de mars 1882.
Sources :
New York dispatch, le 19 mars 1882
Evening Bulletin, le 24 mars 1882
Dépêche de New York, le 26 mars 1882
Smyrna times, le 19 avril 1882