Le dermographe ou le handpoke

Le dermographe ou le handpoke

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Avant l’apparition du dermographe, le marin tatoueur encrait ses collègues avec un faisceau d’aiguilles. On appelait cette technique, le handpoke. En 1891, le tatoueur américain Samuel O’Reilly a officiellement inventé le dermographe électrique et mécanisé la pique. Plusieurs siècles plus tard, l’outil s’est allégé et modernisé. Il peut même ressembler à un stylo ultra léger ! Grâce au dermo ou au handpoke, le tatoueur va vous encrer une véritable œuvre d’art. On vous explique comment ces outils fonctionnent !

Texte : @Alexandra Bay

Depuis son invention en 1891, le dermographe a bien évolué. Il existe deux types de machines : la machine à bobines et la machine rotative. Les fournisseurs proposent pléthore de machines aux poids, tailles et formes différentes. Le tatoueur doit investir 500 euros en moyenne pour une bonne machine. Quand on aime, on ne compte pas, surtout pour son outil de travail quotidien.

Le tatoueur devra maîtriser la machine pour encrer ses meilleures pièces. Le B.A. BA du métier est de savoir monter et démonter sa machine. À ce titre, les conventions proposent parfois des séminaires. Les grands noms de la profession y dispensent leur savoir, comme l’un des plus anciens builders français Sailor Kéa. Ses machines sont magnifiques, mais ne rêvez pas, il vend seulement aux professionnels.

Outil d'Handpoke par  @Rodolphe Cinterino
Outil d’Handpoke par @Rodolphe Cinterino

Depuis quelques années, le handpoke revient sur le devant de la scène. De plus en plus de tatoueurs utilisent cette technique ancestrale. En France et aux alentours, nous avons des artistes investis très doués comme Sybarite Handpoke (@sybaritehandpoke) Andgy Sloan (@andgy_sloan), Indy Voet (@indyvoet), etc.

Outre son aspect culturel ou éthique particulière, la manière de tatouer diffère vraiment de la machine. L’artiste fabrique ses propres outils à tatouer, soit en utilisant simplement la tige habituelle jetable munie d’un faisceau d’aiguilles ou avec un stylet pour tenir les aiguilles. En France, nous avons un fabricant de très beaux outils, Rodolphe Cinterino (@rodolphecintorino). Les aiguilles sont changées à chaque séance, évidemment.


Comment ça fonctionne ?

Le principe du dermographe est un mouvement de rotation qui fait monter et descendre le faisceau d’aiguilles. Les fines aiguilles perforent l’épiderme et introduisent l’encre dans le derme. Les pigments s’y déposent de façon définitive.

Quelles sont les machines ?

Machine à bobines

La machine à bobines fonctionne grâce à un système d’électro-aimants. Cela permet de générer un mouvement de translation continu. Ce mouvement fait vibrer la masselotte sur laquelle est fixée la tige des aiguilles. Selon le réglage de la puissance et les faisceaux d’aiguilles, l’utilisation sera différente : tracé, remplissage, ombrages, etc. L’avantage de cette bécane (le petit surnom de la machine à tatouer) est qu’on peut complètement la démonter. Toutes les pièces sont modulables. La machine à bobines est plus lourde que la rotative, elle pèse environ 500 gr. Certains artistes aiment cette prise en main. D’ailleurs, c’est souvent la machine préférée des artistes spécialisés dans le traditionnel US.

Rotative ou Machine à Bobines

Machine Rotative

La machine rotative s’actionne grâce à un moteur électrique, de poids léger. La tige des aiguilles est montée sur un axe rotatif. Cette machine est plus silencieuse et il paraît qu’elle est moins agressive pour la peau. En effet, le mouvement serait plus fluide et moins saccadé que celui d’une machine à bobines. En revanche, elle n’offre pas les mêmes possibilités de personnalisation. Longtemps boudée par les professionnels, la machine rotative a gagné en popularité ces dernières années : légèreté, silence, ergonomie, etc. Les artistes en réalisme l’affectionnent particulièrement.


Une séance type

En règle générale, avant de vous tatouer, l’artiste a déjà préparé son plan de travail. Son matériel est stérile et désinfecté. D’ailleurs, il utilise des aiguilles à usage unique. Avant de vous tatouer, l’artiste tatoueur rase la peau. Je vous déconseille formellement de vous raser la veille. Préparez-vous plusieurs jours avant. Puis, l’artiste pose le transfert ou le stencil sur votre peau. C’est une étape qui peut prendre un peu de temps selon le placement. Parfois, il dessine en « free hand », à main levée sur votre peau. Il a déjà préparé ses différentes machines, selon votre motif. En général, il utilise une traceuse, une remplisseuse et une machine pour les ombrages. Elles sont toutes de réglages et de voltages différents, avec des faisceaux d’aiguilles adaptés selon les utilisations.

@Pixabay

Les tracés

Le tatoueur débute toujours par les tracés de votre tatouage. Ce sont les lignes de contour du motif. Ces lignes vont le guider pour remplir les aplats. Il utilise un faisceau rond de 3 à 9 aiguilles en acier chirurgical, selon l’épaisseur du contour. Les aiguilles sont soudées en rond serré pour un travail précis et une ligne nette. Avant de débuter, le tatoueur applique un peu de vaseline sur votre peau pour dilater les pores et faciliter la pénétration de l’encre. Ensuite, il trempe ses aiguilles dans le caps (ou capsule) où se trouve l’encre noire.

Puis, tout en étirant votre peau, il tatoue les lignes violettes du transfert sur la peau. L’aiguille pénètre entre 1 à 2 mm de profondeur, mais tout dépend du placement. Par effraction cutanée, les aiguilles vont et viennent, tout en déposant l’encre entre le derme et l’épiderme. Les tracés ne sont pas très douloureux et préparent au remplissage. La douleur est lancinante, mais pas vraiment insupportable. Le tatoueur prend son temps pour tirer de belles lignes. Il nettoie régulièrement le surplus d’encre avec du sopalin. Après le traçage des lignes, c’est le moment de la première pause méritée.

Dermographe ou Handpoke

Le remplissage

Une fois les tracés effectués, l’artiste passe au remplissage, selon les motifs évidemment. C’est plus douloureux. Le tatoueur utilise des faisceaux magnums de 7 à 45 aiguilles. Les magnums retiennent beaucoup d’encre et en déposent plus dans le derme. L’effraction cutanée est plus violente. De plus, pour que la couleur tienne bien, le tatoueur va-et-vient plus profondément dans la peau. Il continue d’éponger le surplus d’encre, mais la douleur est plus entêtante, ça chauffe !

Selon votre séance, de 1 h à 4 h… vous devrez intérioriser votre douleur pour laisser l’artiste œuvrer sur la peau. D’ailleurs, on ne bouge pas ! Si la douleur est trop forte, n’hésitez pas à manifester votre inconfort, mais soyez tenace. On ne demande pas une pause tous les 1/4 d’heure. Une fois son œuvre finie, l’artiste tatoueur nettoie le tatouage et le recouvre de cellophane, à l’ancienne. Certains artistes sont adeptes du film cicatrisant qui se colle comme une deuxième peau. Il se retire au bout de quelques jours.


Focus sur le handpoke

Outil de Handpoke par  @Rodolphe Cinterino
Outil d’Handpoke par @Rodolphe Cinterino

Le handpoke est revenu à la mode depuis plusieurs années. Il s’agit de piquer les tatouages à la main. Il n’y a donc pas l’action mécanique du dermographe. En général, les artistes utilisent des faisceaux d’aiguilles comme pour les machines. Cependant, il les fixe à un petit support comme un stylet. Il s’agit d’encrer le tatouage point par point. C’est un travail de longue haleine, mais la douleur est différente, plus douce, et la cicatrisation des petits motifs, sans croutes.


Interview du tatoueur Alix

Depuis combien de temps pratiques-tu le handpoke et la machine ?

Alix : J’ai 6 ans de tatouage en handpoke et à la machine. J’ai toujours pratiqué les deux techniques depuis le début de mon apprentissage.

Quelles sont les limites techniques du handpoke et de la machine ?

Alix : Le handpoke ou « tatouage à la main » en français, prend plus de temps de réalisation que la machine de manière générale. Cependant, avec une bonne maîtrise, on peut gagner un temps précieux. Je ne pense pas qu’il y ait de limites pour les 2 techniques. La machine va plus vite, c’est sûr, mais la vraie limite reste encore la résistance du tatoué. Les tatouages traditionnels du monde entier ont tous été pratiqués ou se pratique encore à la main. Soit les aiguilles sont attachées sur une tige en bois et la pique se fait par percutions, comme dans le pacifique, ou à l’aide de fils cousus dans la peau comme chez les Inuits. Il existe beaucoup de techniques différentes suivant les régions du monde.

Alix @alx_xla.tattoo
Quelle est la technique la plus douloureuse ?

Alix : A mon avis, la technique la plus douloureuse est la machine, car la fréquence de pique est beaucoup plus rapide qu’en handpoke. Cela dit, si vous tombez sur un/une tatoueur/euse d’handpoke qui bourrine, cela fera toujours mal. La sensibilité dépend de l’artiste. La plupart du temps, la douleur est différente selon le motif choisi et la zone à tatouer.

Quelle est la technique la plus facile à apprendre ?

Alix : Le handpoke m’a paru plus instinctif que la machine. En plus, c’est moins consommateur de matériel et honnêtement, faire un guest avec le handpoke, c’est le pied. Des aiguilles en poches et le savoir-faire dans la tête, ça évite de prendre une énorme mallette.

Quelle est la technique qui demande le plus de concentration ?

Alix : C’est la même concentration pour les deux. Si on peut toujours reprendre calmement ses lignes à la main, la concentration reste équivalente. Bon, il n’y a pas le bruit de la machine non plus, ça c’est pratique pour parler de la pluie et du beau temps.

Alix @alx_xla.tattoo
Est-ce qu’il y a une philosophie différente selon l’outil ?

Alix : La philosophie derrière la technique est différente, suivant les artistes. Beaucoup viennent de milieux plutôt roots en Europe, même si je déteste ce terme, c’est assez vrai. Sinon à travers le monde, ce sont les tribus et la tradition d’antan qui font que cette technique bénéficie d’un intérêt grandissant aujourd’hui. Pour ma part, le handpoke avec du Motörhead en fond sonore, ça reste rock ; pas besoin de mettre un turban et de brûler de l’encens.

Quel est l’outil le plus précis ? le handpoke ou la machine ?

Alix : Les deux techniques peuvent atteindre un très haut niveau de précision, le handpoke en particulier, avec le pointillisme, je trouve. Regardez les tatouages traditionnels japonais. Les plus anciens étaient tous réalisés à la main, encore aujourd’hui cela perdure.

Alix @alx_xla.tattoo
S’il y avait trois avantages que tu devais citer pour chaque outil ?

Alix :

À la main :
  • La cicatrisation est plus douce et rapide
  • La douleur est très supportable
  • Il y a peu de matériel à utiliser
À la machine:
  • La rapidité d’exécution du tatouage,
  • Elle permet d’utiliser toutes les aiguilles à leur plein potentiel
  • Une machine, c’est beau aussi, sourire
Quelle est la cicatrisation la plus douce, celle du handpoke ou de la machine ?

Alix : Les clients ne connaissent pas le handpoke la plupart du temps, j’utilise cette technique pour de petits tatouages sur les doigts ou les oreilles et pour éviter la peur des premiers tatouages, car bien moins traumatisant pour la peau.

2 filles en aiguille, Bordeaux
Instagram : @alx_xla.tattoo
Mail : aez.henry@gmail.com


Glossaire

Aplats : il s’agit d’une large zone de peau tatouée.

Apprenti ou Arpète : jeune artiste qui apprend le métier.

Autoclave : appareil de stérilisation du matériel.

Baver : se dit d’un tatouage dont les lignes floues sont mal encrées, piquées trop profondes.

Bécane : est un ancien terme désignant une machine à tatouer.

Bleu : se dit d’une personne très tatouée

Bobines : partie du dermographe qui génère l’attraction magnétique.

Body Suit : corps entièrement tatoué

Book : Portfolio qui regroupe les dessins et flashs du tatoueur.

Caps : capsule en plastique qui contient l’encre à tatouer. Une nouvelle gamme recyclable est disponible.

Collectionneur : se dit d’une personne qui cumule les tatouages de grands artistes.

Conventions : évènement qui regroupe des artistes tatoueurs locaux et internationaux. Il est possible de s’y faire tatouer.

Cover : technique de recouvrement des tatouages ratés.

Dermographe ou dermo : machine à tatouer.

Faisceau : ensemble d’aiguilles soudées entre elles.

Flash : motif de tatouage déjà dessiné et qui peut être reproduit à l’infini.

Free Hand : technique de tatouage à main levée sur la peau. Le tatoueur ne pose pas de transfert préalable. Il dessine à même la peau.

Handpoke : technique de tatouage à l’aiguille et à la main.

Piquer : tatouer.

Saturation : C’est la mesure du niveau d’encre et de couleur dans un tatouage bien exécuté.

Stencil : c’est le carbone qui permet de décalquer un dessin pour le transférer sur la peau. On parle aussi de transfert.

Alexandra Bay

+++ Auteure de LOVE, TATTOOS & FAMILY, (ISBN : 2916753214) +++ Co-Fondatrice de FREE HANDS FANZINE +++ TATTOW STORIES +++

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