Fleurs de peau – Skin flowers est un recueil photographique du docteur X. Dans les années 30, le docteur X est dermatologue à l’hôpital Saint-Pothin de Lyon.
Fleurs de peau – Skin flowers est un recueil photographique du docteur X. Dans les années 30, le docteur X est dermatologue à l’hôpital Saint-Pothin de Lyon. Il est amateur de photographie couleurs. Ses sujets ? Les fleurs, les paysages, mais aussi les maladies de peau et les tatoués. En effet, il conserve tous ses clichés dans une précieuse boîte en bois. Vingt ans plus tard, Gérard Lévy, expert en photographie, va en découvrir le contenu chez une parente éloignée.
Texte : @Alexandra Bay
Un appel téléphonique intriguant
Gérard Lévy, expert en photographie, reçoit un coup de fil. Il s’agit d’une dame âgée. Elle souhaite vendre des photographies en couleurs, datant des années 30. C’est un membre de sa famille qui les a prises. Il s’agit de fleurs, de paysages, etc. L’expert se prépare ainsi à opposer un énième refus. En effet, la chambre noire est un loisir amateur fréquent dans les familles bourgeoises du début du 20e siècle…
Cependant, la dame âgée raconte que ce parent était très pointilleux dans sa pratique. Ainsi, il annotait toutes les photos… Puis, elle conclue sur quelques clichés de l’hôtel-dieu… Gérard Lévy est intrigué… l’hôtel-dieu? Qui peut prendre des photos d’un hôpital dans les années 30 ? La dame répond que ce parent était médecin à Saint-Pothin.
Cette révélation aiguille sa curiosité. La spécialité du docteur ? dermatologue. D’ailleurs, il détenait un certain nombre de clichés affreux de maladies de peau… ainsi que des hommes couverts de tatouages… Si Gérard Lévy accepte d’acheter les clichés des fleurs, elle lui cède l’intégralité de la collection.
La boîte en bois
Le lendemain, Gérard Lévy prend un train pour inspecter la précieuse collection. Dans Fleurs de peau – Skin flowers, il explique ainsi qu’il ne peut s’empêcher de penser à mille questions : les années 30, Lyon. Est-ce qu’il existe un lien avec Lacassagne (père et fils) et Locard ? Un TGV et un taxi plus tard, c’est le moment de vérité. La boîte en bois se trouve sur la table de la salle manger, couverte par un vieux châle. C’est une belle collection photographique. L’homme est un amateur à l’oeil averti : paysages, azalées, cyclamens et calceolaria. Gérard Lévy raconte ainsi qu’il parcourt les photos avec l’impatience d’un enfant. Dermatologie, tatouages, tête de jivaro…
Anonymat
Avant son retour dans la ville des lumières, la dame l’invite à déjeuner. Elle lui demande une seule faveur comme le confie Gérard Lévy dans son livre : « Monsieur, vous avez l’air d’un honnête homme. Donnez-moi votre parole d’honneur… Je ne sais pas ce que vous avez l’intention de faire avec les photos, mais s’il vous plaît promettez-moi que vous ne révélerez jamais le nom du photographe… Je ne voudrais pas que les gens à Lyon sachent qu’il a pris des photos de syphilitiques et de condamnés. » Gérard Lévy tient sa promesse. Il ne révèle pas le nom de ce praticien dans son livre Fleurs de peau – Skin flowers.
Un homme cultivé et esthète
Dans Fleurs de peau- Skin flowers, Gérard Lévy tient à souligner le réel intérêt de l’homme pour l’art du tatouage. En effet, ce n’est pas le praticien qui capture d’un point de vue scientifique, mais l’esthète intrigué par une pratique méconnue. Aussi, c’est une co-préface rédigée par Serge Bramly, spécialiste en photographie. Ses remarques sur l’intérêt du docteur pour le travail de Jean Lacassagne, sont finement observées.
À ce sujet, il explique : « Notre dermatologue et photographe amateur devait le connaître (Sic. Jean Lacassagne,) : il travaillait dans les mêmes hôpitaux et fréquentait aussi le ballon, la prison de Saint-Paul, où il s’occupait aussi des détenus durant la même période (entre 1930 et 1936). Plusieurs plaques illustratives de « Les albums du crocodile » montrent (d’une source différente) des tatouages qu’il avait aussi photographiés : les danseurs de tango tatoués dans la prison militaire tunisienne, les fatalitas tragiques mais vulgaires, l’élégante frise florale, le paon spectaculaire, créé à Calvi en 1930 et présenté par Jean Lacassagne à la société de dermatologie en 1932 pour montrer – comme si une preuve supplémentaire était nécessaire – la rareté des tatouages français de valeur artistique. »
Fleurs de peau – Skin flowers, ou l’empreinte d’une classe sociale
Serge Bramly conclue avec ce joli paragraphe sur un début de siècle peu indulgent envers les tatoués. »Au 19e siècle, le criminologue italien Lombroso considérait le tatouage comme « une relique caractéristique des classes criminelles ». Dans l’opinion plus précise de Locard, la relation entre le tatouage et la criminalité est une coïncidence plutôt qu’une causalité. Jean Lacassagne à son tour l’a défini comme le cachet (marque) de la classe.
Dans la France d’avant-guerre, où les tatouages étaient presque exclusivement le domaine d’ex-détenus, de prisonniers militaires, de trafiquants de drogue, de proxénètes et de prostituées, notre dermatologue jette un œil indulgent sur ces «fleurs de peau», comme s’il était séduit par la fantaisie de leurs créateurs ou touché par les vies malheureuses ainsi exprimées si fièrement. La chose la plus importante pour lui semble avoir été de capturer un reflet de cette beauté pathétique. »
Fleurs de peau – Skin flowers
1e édition : 1e janvier 1955
Gérard Lévy – Serge Bramly
Edité par le collectif Gina Kehayoff Verlag
ISBN-10:3929078732
ISBN-13:978-3929078732