Avec son mélange audacieux de néo-trad et de kawaii aux couleurs pétantes, Dualypulp a su dompter la clientèle bordelaise, plutôt adepte de la petite pièce noire.
Du néo-trad à la sauce kawaii
Avec son mélange audacieux de néo-trad et de kawaii aux couleurs pétantes, Dualypulp a su dompter la clientèle bordelaise, plutôt adepte de la petite pièce noire. Dans la ville grise, au studio Là-haut, la jeune tatoueuse de 26 ans a su trouver ses marques et fidéliser sa clientèle, pourtant ses débuts n’ont pas été des plus faciles.
Texte : @Alexandra Bay
Rien ne prédestinait Dualypulp à devenir tatoueuse, malgré son bagage artistique. Petite fille, elle baigne dans un milieu créatif. Son père dessine et fabrique des arbalètes. L’artisan pratique aussi la sculpture, tandis que sa mère crée des bijoux. Dans cette ambiance propice aux arts, Dualypulp rêve de tracer sa voie dans un domaine artistique. À l’âge de 19 ans, elle s’inscrit en licence d’arts plastiques à bordeaux III. La tatoueuse raconte : « Je voulais faire un métier en rapport avec le dessin. À la fac, ils nous ont clairement dits qu’il n’y aurait pas de débouchés sauf si on voulait devenir prof. La fac était juste un tremplin pour nos projets. À ce moment-là, je ne pensais pas devenir tatoueuse. » En effet, Dualypulp ne connaît ni le milieu, ni ses codes. Elle se fait encrer depuis l’âge de 17 ans, à raison d’une pièce par an, mais ça s’arrête là.
Elle achète alors sa première machine à bobines sur un site en ligne, un « truc tout pourri ».
Elle se remémore : « J’ai trouvé que ce un métier avait l’air cool, mais je n’y connaissais rien. En plus, je pensais que je n’y arriverais pas, car je ne savais même pas dessiner un portrait. Pour moi, un tatoueur devait savoir tout faire. Alors, je me suis dit « On verra plus tard ». À l’âge de 20 ans, lorsqu’elle commence à se faire encrer une grosse pièce sur le bras, elle voit le métier différemment. En plus, sa meilleure amie veut devenir tatoueuse, alors c’est le déclic ! « D’un seul coup, je me suis dit, c’est vrai que je voulais faire du tatouage. J’ai mis cette idée de côté pendant 3 ans. Quand elle m’a parlé de son projet, ça m’a motivé. » Elle achète alors sa première machine à bobines sur un site en ligne, un « truc tout pourri ».
L’art de la ténacité
Dualypulp va en cours et apprend à tatouer chez elle comme une vraie scratcheuse. Si elle en rit maintenant, elle reconnaît : « J’ai vraiment foncé dans un domaine totalement inconnu. Si j’avais mieux connu les codes du milieu, il y a des erreurs que je n’aurais pas faites. En même temps, il fallait que j’en passe par là pour découvrir le métier et me lancer. » Elle change sa machine à bobines pour une rotative qui, il faut le noter, a facilité la vie de nombreux artistes. Les 3 premiers mois, elle visionne des vidéos YouTube et va à la pêche aux infos. Elle se renseigne sur les formations payantes, mais flaire vite l’arnaque.
…de nombreux shops m’ont très bien accueillie. Ils trouvaient que j’avais du potentiel, mais il fallait que je bosse le dessin. Ils m’ont à chaque fois encouragée à persister.
Dualypulp
Avec son book à dessins, elle fait alors le tour de Bordeaux pour trouver un apprentissage, et selon les shops, présente ses photos de tatouage. Elle fait chou blanc et raconte : « J’ai commencé à comprendre qu’il ne valait mieux pas présenter ce que je tatouais chez moi. Malgré tout, de nombreux shops m’ont très bien accueillie. Ils trouvaient que j’avais du potentiel, mais il fallait que je bosse le dessin. Ils m’ont à chaque fois encouragée à persister. » C’est le cas de l’un des artistes du shop de Krab Tattoo, qui lui file un coup de main et du matos. Ainsi, la jeune femme se déplace 2 à 3 fois par semaine pour observer les artistes à l’œuvre. Cependant, le shop compte déjà 8 personnes donc la jeune femme poursuit son rêve à domicile.
Pendant un an et demi, Dualypulp poursuit sa recherche d’apprentissage et rate son premier rendez-vous avec la muse du tatouage. Elle se rappelle : « À Versailles, un shop cherchait un apprenti. J’y suis donc allée, mais ça n’a pas du tout fonctionné. C’était un shop à l’ancienne, très traditionnel, avec des règles très codifiées. Puis, j’ai commencé à bosser dans un autre shop à Paris et ça n’a pas marché. Je me suis demandé si le problème venait de moi. »
Finalement, c’est à « L’encre de la folie », un shop du sud-ouest, qu’elle va trouver du réconfort et de la bienveillance. Ainsi, deux semaines par mois, Dualypulp devient tatoueuse semi-résidente au Barp. Elle garde un excellent souvenir de Lydia et de ses collègues, notamment Psy Monk (@psymonk33). Durant quelques années, Dualypulp progresse en technique et prend de l’assurance, mais le Barp est loin de Bordeaux. Comme une vraie citadine, la jeune femme n’a pas de voiture. Elle prend donc le train pour rejoindre le shop.
Au début, on a fait des petits guests. Un mois après, je me suis lancée. Je lui ai demandé de devenir résidente. Il m’a dit oui et puis voilà !
Dualypulp
En plus, elle aimerait devenir professionnelle à temps complet. Son rêve va se concrétiser avec la rencontre de Malaya (@malaya_artist), croisé au hasard d’une soirée. Elle se remémore : « Il m’a proposé de venir voir son atelier “Là-haut”. J’ai cogité. Je n’ai pas de shop. Ce mec a l’air sympa. Je vais lui demander de tatouer chez lui. Au début, on a fait des petits guests. Un mois après, je me suis lancée. Je lui ai demandé de devenir résidente. Il m’a dit oui et puis voilà ! Ça fait 3 ans que je suis là-bas. » Et elle ne compte pas en partir, car elle se sent bien dans ce nouveau nid douillet, avec ses collègues Tonton Grafik (@tonton_grafik), Stab Tattooist (@stabtattooist) et leur jeune apprenti FEFE (@noir_fefe).
Enfin pro !
C’est un nouveau cap pour la jeune femme. Ce changement lui donne un mental d’acier et la booste pour progresser autant en technique qu’en dessin. Elle a un agenda bien rempli et devient bien plus productive. Elle peut enfin se consacrer à temps plein à l’art de l’encre. Elle se spécialise dans les styles kawaii et néo-trad à la suite d’une rencontre à Lyon. Elle raconte : « Avant, je faisais de tout. Je suis partie à Lyon pour chercher des guests, etc. Je suis allée voir un shop avec mon book. Le gérant m’a dit : “En tant que résidente, tu serais bien. Par contre, en tant que guest, qu’est-ce que je vais proposer au client ? ” C’était dur à entendre, mais il avait raison. Il m’a dit “ Tu as l’air d’aimer le néo-trad et le kawaii. Pourquoi ne te lances-tu pas dans ces styles ? ” »
Et même sa clientèle en tant que scratcheuse lui reste fidèle, c’est dire son talent.
C’est ainsi qu’elle se spécialise dans le tatouage mignon et coloré, qui fait référence à de nombreuses icônes de la pop culture et du manga. Elle finit par poster uniquement ses pièces kawaii et néo-trad sur les réseaux sociaux. Cependant, les Bordelais ne sont pas vraiment friands des couleurs pétantes et Dualypulp va ramer trois bons mois avant de commencer à se constituer une bonne clientèle. Heureusement, les aficionados du kawaii n’hésitent pas à se déplacer pour passer sous ses aiguilles, depuis le nord de la France, Toulouse, etc. Et même sa clientèle en tant que scratcheuse lui reste fidèle, c’est dire son talent.
Avec cette nouvelle patte graphique, Dualypulp fait le lien avec ses influences profondes comme les artistes Nicoletta Ceccoli ou Mark Ryden. Admirative du travail de ces illustrateurs, elle en retient le côté très mignon ; même si elle aime l’esprit dérangeant de leurs univers bien trop lisse pour être complètement innocent. Elle veut garder le kawaii comme un outil de travail et non, comme un style à part entière.
Elle explique ainsi : « Je veux m’en servir en petites touches, comme pour les couleurs saturées. J’essaie de mettre en avant le néo-trad, même si je ne fais pas du neo-trad classique, car j’ai des couleurs bien trop pétantes. L’étiquette kawaii me suit depuis longtemps et j’ai encore beaucoup de demandes. Je suis obligée d’en poster régulièrement, même si j’essaie de présenter plus de pièces néo-trad, moyennes ou grosses. Charly tattoo (@charlytattoo) qui m’a tatoué, KBN (@kbn_sensibilitey), Candy Ink (@candy_ink₎ ou Olie Siiz (@Olie_siiz) m’inspirent.»
En quête d’identité
Avec ses progrès techniques, Dualypulp affine son identité et fait beaucoup de recherches techniques. C’est une acharnée de travail. Elle se lance en permanence de nouveaux défis. C’est une notion importante pour la tatoueuse, ce qu’elle confirme : « Je me donne toujours des axes de travail. Pendant un moment, j’ai travaillé mes bases de doré. J’ai testé plein de choses. Mon nouvel axe, c’est la fourrure. En dessin, j’ai travaillé la texture de la fourrure. Après, j’essaierais en tattoo et je verrais ce que ça donnera. J’estime que je ne me suis pas encore trouvée. Mon fil rouge, c’est le kawaii, le néo-trad et le mignon. Je suis en train de chercher comment je peux le faire évoluer. J’explore de nombreuses pistes et c’est pour ça, que le réalisme m’intéresse actuellement. Je pense que je vais intégrer plus de bases de réalisme dans mon tatouage. » Dualypulp mixe les genres et cherche le combo parfait pour une patte tattoo unique.
Récemment, elle a encré une pièce qui représente bien son amour des genres. Ainsi, elle a tatoué le personnage de la poétesse grecque de l’antiquité Sappho représentée par le peintre anglais néo-classique John William Godward. Sont-ce les prémices d’une nouvelle identité graphique ? Le néo-classique fonctionne bien avec le néo-trad et les couleurs kawaii chères à la jeune femme.
Du coup, elle m’a dit je veux ce portrait de Sappho et m’a laissé carte blanche. Comme c’était une amie, je me suis lancée et j’ai essayé. Je me suis dit, si je rate, tant pis, c’est une pote.
Dualypulp
Elle raconte son expérience : « J’ai procédé par étapes, je ne me suis pas lancée dans le vide. J’adorais faire des portraits néo-trad de femmes. Mon collègue Malaya m’a encouragé sur cette voie. Je n’étais pas sure de moi. J’ai encré le tatouage de Sappho à Charlee, gérante du salon « Sybilles » où je travaille en guest. Elle savait que je voulais faire un mélange des styles réalisme, néo-trad, etc.. Du coup, elle m’a dit je veux ce portrait de Sappho et m’a laissé carte blanche. Comme c’était une amie, je me suis lancée et j’ai essayé. Je me suis dit, si je rate, tant pis, c’est une pote. On pourra toujours faire des retouches, etc.. En fait, ça s’est trop bien passé, en plus c’était un cadeau. J’étais super contente du résultat. »
Du néo-trad à la sauce kawaii ?
Cette pièce spéciale la motive à faire plus de recherches du côté des peintures néo-classiques pour ses bases de tatouages : Emilie Vernon, Joseph Karl Stieler. Les couleurs de son tatouage de Sappho font légèrement penser aux tatouages d’Hannah Flowers. Lorsqu’on cite le nom de la tatoueuse, Dualypulp s’exclame : « Hannah Flowers est l’un des premiers artistes que j’ai découverts sur Instagram et j’adore son travail. Je rêverais de me faire tatouer par elle ! Pour moi, c’est la base de la base. D’ailleurs, s’il y a un artiste que j’aimerais rencontrer, c’est bien Hannah Flowers. »
Par ailleurs, Dualypulp va également se faire encrer par Oash Tattoo (@oash_tattoo), en Espagne. Un autre artiste de la même trempe que la jeune femme admire : « Je suis plus dans le mignon, mais j’aimerais aboutir à ce style de tatouage en termes de technique, de dessin et de composition ! J’ai vraiment envie d’aller plus loin. » Et c’est bien ce qu’on lui souhaite, car Dualypulp est une « acharnée » de travail. Il y a fort à parier que nous la retrouverons dans les pages de ce magazine, d’ici quelques années, mais cette fois en tant qu’artiste inspirante.
Suivez son Instagram @dualypulp.tattoo
MAJ : Depuis, Dualypulp a ouvert son propre atelier La drôle de maison