Dans un style « primaire », ses crânes et ses mille-pattes qui se chevauchent à l’infini sont reconnaissables au premier coup d’œil. Portrait d’un autodidacte venu de la scène du graff.
Entre Madrid et Londres, Deno exerce ses talents de tatoueurs depuis 17 ans. Désormais reconnu pour sa patte graphique, l’artiste aime la ligne épaisse et la simplicité des motifs. Dans un style « primaire », ses crânes et ses mille-pattes qui se chevauchent à l’infini sont reconnaissables au premier coup d’œil. Portrait d’un autodidacte venu de la scène du graff.
Texte : Alexandra Bay
Bonjour Deno, peux-tu te présenter ?
Deno : Je m’appelle Deno. Je suis né en 1977 à Madrid ; plus exactement à Coslada, une banlieue madrilène. J’y ai rencontré mes amis et partenaires de la scène du graff.
Quel est ton parcours artistique ?
Deno : Je n’ai pas suivi d’études artistiques, mais j’ai toujours dessiné depuis que je suis enfant. Quand j’avais 12 ans, je pratiquais le graffiti. Je taguais et je peignais aussi avec des bombes aérosols sur les murs et les trains. Mon équipe de graffeurs était le Kr2, un crew désormais légendaire à Madrid. En 1995, j’ai beaucoup voyagé dans des villes où le graff était présent comme à New-York, Hambourg, Amsterdam, Paris, San Francisco, Stockholm et la majeure partie des grandes villes européennes.
Vers 1999, je me suis fortement intéressé aux Beaux-Arts, j’ai alors étudié l’esthétisme en parallèle de mes études de philosophie. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’apprendre à dessiner correctement et le graff m’y a vraiment aidé. Deno était mon nom de tagueur. En parallèle, je peignais aussi des projets plus personnels sur le bois sous l’appellation de JR. Dans le milieu du tatouage, mon pseudo a longtemps été DENO JR. Puis, j’ai gardé le simple nom de DENO.
Quand as-tu découvert l’art du tatouage ?
Deno : Je ne me suis jamais intéressé au tatouage, gamin. En effet, mon grand-père en avait un énorme sur le bras. C’était un motif à l’encre vieillie, verte et réalisé au handpoke. Impossible de savoir quel était le motif, car le design était tout déformé et il le détestait. C’était vraiment un tabou dans ma famille, alors je ne m’y intéressais pas du tout. Vers 25 ans, j’ai commencé à observer les tatouages traditionnels exécutés par les gars de la vieille école. Je suis complètement tombé amoureux de cette esthétique à la fois simple et puissante. Puis un ami m’a encré mon premier tattoo et coup de foudre, j’ai décidé que je voulais apprendre à faire ça ! Je me suis dit que c’était un moyen de gagner ma vie avec mes propres projets créatifs. C’était il y a 17 ans et depuis 13 ans, je tatoue comme un artiste professionnel.
Comment t’es-tu lancé dans le métier ?
Deno : Dès que j’ai eu mon premier tatouage, j’ai su que c’est le métier que je voulais faire. À l’époque, le milieu du tatouage était beaucoup plus difficile d’accès. Les machines n’étaient pas si faciles à acheter et trouver un apprentissage n’était pas simple. Alors, j’ai tatoué dans le milieu du graff et j’ai appris tout seul. J’ai acheté une paire de machines à tatouer auprès d’un pote. Dans le même temps, j’ai commencé à voyager et à me faire tatouer par des artistes que j’admirais le plus, comme Seth Ciferri, Rudy Fritsch, Adam Barton, Théo Mindell. Je les observais pendant qu’ils me tatouaient. Ensuite, je reproduisais leurs méthodes dans ma façon de tatouer.
As-tu trouvé un job avec ce parcours d’autodidacte ?
Deno : En effet, au bout de 2 ans, j’ai trouvé un super job de tatoueur dans le shop espagnol « Tattoo Magic », sans savoir que j’irais aussi loin. J’ai eu la chance d’améliorer constamment ma technique avec des tatoueurs comme Mariano Castiglioni ou Bara. Ensuite j’ai décidé de voyager. Je me sens très chanceux, car j’ai pu exercer le tatouage dans des salons prestigieux comme : Ed Hardy´s Tattoo City à San Francisco, Tattoo Paradise à Washington DC, Kings Avenue Tattoo à New-York, Chapel Tattoo à Melbourne et d’autres studios en Europe et en Australie.
Quels arts et/ou artistes influencent ton tatouage ?
Deno : Toute forme d’art influence mes dessins, que ce soit la musique, les films, la peinture, la bande dessinée, etc. J’ai les yeux ouverts 24 h sur 24 h, je suis toujours en alerte ! Mon regard se porte sur mon environnement direct : des lettrages, des affiches publicitaires et même les paquets de céréales ! Des paroles de musique peuvent aussi me donner des idées de projet ! Les bandes dessinées de Francisco Ibáñez, Mortadelo et Filemón ont un impact sur ma façon de dessiner ! Pour finir, les artistes contemporains comme Antonio Saura, Keith Haring, Basquiat, Zush, Miró m’inspirent.
Comment dessines-tu tes flashs ? Quel est ton processus créatif ?
Deno : J’utilise différents médiums pour dessiner comme des stylos, des feutres, des marqueurs, et même mon iPad ! J’aime changer d’outils et expérimenter de nouvelles choses. L’environnement naturel a également une énorme influence sur moi : les animaux, les insectes, etc. En effet, j’ai l’habitude de dessiner des animaux et des monstres depuis que je suis enfant. Ce sont des créatures qui sortent de mon imagination. J’aime chercher la beauté dans la laideur. Aussi, la couleur noire a toute son importance dans mon travail créatif.
C’est une couleur très puissante, de plus, c’est celle qui tient le mieux dans le temps. Des lignes bien épaisses et de beaux aplats noirs donnent un fort caractère à une composition. Je crois que ma façon de dessiner est liée à ma façon de poser les tags et les throw ups (un graff rapide de forme ronde) en graffiti. Le genre de ligne que tu traces du début à la fin, en une seule fois. En effet, tu dois travailler vite, en même temps ton dessin doit être fluide et l’impact graphique visuel très personnelle. J’aime qu’on comprenne mes tatouages au premier coup d’œil.
Est-ce que tu te sens plutôt artiste ou artisan ?
Deno : Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre ces deux concepts. C’est une question de perception… et un faux problème. Car le tatouage implique une créativité artistique, mais aussi une maîtrise du dessin et de la technique. Les deux sont absolument nécessaires pour la bonne exécution d’un tatouage. Alors, je pense que tous les bons tatoueurs sont forcément à la fois artistes et artisans.
Quand as-tu ouvert ton propre shop à Madrid, le Circus Tattoo ?
Deno : Après avoir travaillé aux USA, au sein du seul et unique studio « Tattoo Paradise » avec mes amis Matt Knopp et Chad Koeplinger, j’ai décidé de rentrer à Madrid et d’ouvrir mon propre shop. J’ai ouvert le Circus Tattoo en 2011, à Madrid (situé à 2 pas du musée Reina Sofia). C’est un studio de taille familiale avec des artistes géniaux comme Mélissa Kay Cárter, Pablo Lasheras, Elisa Debellard, et Joko. Je me sens vraiment chanceux de vivre de ma passion et d’avoir une vie créative intense. Actuellement, les tatoueurs peuvent travailler et créer des tatouages sans ressentir cette pression sociale. La nouvelle dimension créative du tatouage nous permet de vivre de notre art, sans être assimilés à des marginaux. Les tatoueurs devraient être heureux pour ça. On peut s’épanouir pleinement dans notre métier.
Quand as-tu rejoint la team Seven Doors ? Et pour quelle raison ?
Deno : J’ai ouvert Seven Doors Tattoo avec Jondix, il y a 4 ans… Nous avons décidé d’ouvrir un endroit magique dans cette géniale ville de Londres, pour travailler ensemble et avec tous nos amis du monde entier. Nous sommes si chanceux, car nous avons les guests et les clients les plus incroyables au sein de nos portes. Les gens voyagent pour venir se faire tatouer dans le shop. Je ne constate pas une grande différence entre la clientèle espagnole et les clients qui viennent au Seven Doors.
Avec le recul, quel bilan tires-tu de ton expérience de tatoueur ?
Deno : J’ai 41 ans, une femme magnifique et 4 enfants qui sont en très bonne santé. Je suis heureux. J’ai un petit studio à Madrid appelé le Circus Tattoo et le Seven Doors à Londres, avec mon ami Jondix. Je gagne bien ma vie, alors il est évident que je n’ai pas de raisons de me plaindre… Cependant, je travaille dur depuis très longtemps et je n’ai jamais arrêté de tatouer plus de 2 semaines, depuis 17 ans ! Il me semble donc que l’équilibre est positif. J’adore mon travail.
Et dans 10 ans, que feras-tu ?
Deno : J’aurais 51 ans, je serai donc plus âgé. Cependant, je continuerai encore à tatouer, dessiner, peindre, élever mes enfants Pablo, Javier, Alicia, Emma et aimer ma femme Elena… voyager et m’amuser avec les copains… Finalement, pas une grande différence avec ce que je fais maintenant !
As-tu un dernier mot à ajouter ?
Deno : Je vous remercie pour l’interview. Je voudrais aussi remercier toutes les personnes qui m’ont aidé quand j’ai commencé à tatouer, comme ma famille. Je pense également au soutien de mes amis, qui sont toujours présents quand j’ai besoin d’eux.
Circus Tattoo, son magasin à Madrid :
facebook.com/CIRCUStattooMADRID/
Seven Doors Tattoo, son magasin avec Jondix à Londres :
facebook.com/sevendoorstattoo/
Instagram : @denotattoo