Charles Perrier et les Criminels

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Jusqu’en janvier 2020 au musée du vieux Nîmes, l’exposition « Tatouages » présente les travaux en anthropologie criminelle du docteur Charles Perrier. Sous la houlette d’Aleth Jourdan, conservateur en chef, la rétrospective valorise le fonds Perrier qui fut cédé par le médecin en 1932. L’exposition « Tatouages » met en lumière des pièces rares comme les photographies de condamnés tatoués ou son œuvre majeure « Les criminels ».

Texte : Alexandra Bay – Article paru dans Tatouage Magazine

Crédits : Musée du vieux Nîmes. J’adresse un grand remerciement à Aleth Jourdan, la conservateur en chef.

Issu d’une famille plutôt aisée, Charles Perrier né le 13 juin 1861 à Valleraugue, dans le Gard. Il a déjà la justice dans le sang. En effet, son père Antoine Scipion Perrier est juge de paix. Cependant, son rôle se limite aux affaires civiles et commerciales. Sa mère s’appelle Alix Delphine Berthezenne. Il suit des études de médecine à l’université de Montpellier, l’une des plus anciennes facultés de médecine française fondée en 1137.

D’ailleurs, la faculté de Montpellier « joua un rôle politique important dans la construction de l’enseignement de la médecine contemporaine » souligne le médecin André Pecker (1902-1994). Avec une vision progressiste du métier, Charles Perrier devient docteur en médecine le 15 janvier 1887. Il a alors 26 ans.

« Entre méfiance des pouvoirs publics et hostilité d’une partie du corps médical, les médecins ne réussissent pas à trouver leur place au sein des prisons. »

Pierre-Olivier Chaumet
Vue de lʼentrée de la maison centrale, le boudar ou « chez mon oncle » (entre 1896 et 1898)

Maison centrale de Nîmes

Charles Perrier est nommé médecin des prisons à la maison centrale de Nîmes, en novembre 1887. Il débute comme suppléant et finit par remplacer le médecin démissionnaire. La fonction est difficile et mal payée. Le médecin des prisons gère l’infirmerie et assure les soins quotidiens des prisonniers. Il collabore avec un pharmacien, mais cumule souvent seul les 2 casquettes.

Il intervient parfois pour de petites opérations médicales ou chirurgicales. Il est tenu d’effectuer une visite quotidienne des détenus dans leur cellule. Ce sont des tâches lourdes dans un environnement carcéral insalubre. Les conditions de vie et d’hygiène des prisonniers sont mauvaises. Les locaux sont vétustes et les cellules surchargées.

Certains médecins hygiénistes dénoncent la situation et d’autres refusent que la prison ne devienne un refuge pour malheureux. « Entre méfiance des pouvoirs publics et hostilité d’une partie du corps médical, les médecins ne réussissent pas à trouver leur place au sein des prisons. » écrit Pierre-Olivier Chaumet (Emprisonnement et santé au XIXe siècle).

Le dortoir cellulaire n°4 couloir 2 de la maison centrale de Nîmes (entre 1896 et 1898)

Charles Perrier exerce dans ce contexte particulier jusqu’en avril 1911, date à laquelle il est relevé de ses fonctions. Il cumule les différends avec l’administration pénitentiaire. Elle désapprouve notamment ses travaux de recherche ainsi que sa collaboration avec certains prisonniers.

Pourtant, de 1894 à 1899, au sein de la maison centrale de Nîmes, il va produire une étude d’anthropologie criminelle complète et reconnue : « Les Criminels ». Le premier tome est publié en 1900 à l’occasion de l’exposition universelle et le deuxième tome en 1905. Alexandre Lacassagne compare alors l’ouvrage aux « Souvenirs de la Maison des Morts » de Dostoïesvki.

Publié en 1862, le livre décrit le système pénitentiaire d’un bagne en Sibérie. Le récit de Dostoïesvki est saisissant de réalisme. Et pour cause, il vient de purger une peine de quatre ans au bagne d’Omsk (1850-1854). C’est un beau compliment de la part du fondateur de l’anthropologie criminelle française.

Tatouage dos «Aux armes de Lyon» – 1897 @Charles Perrier

Anthropologie criminelle

Le médecin Alexandre Lacassagne est à l’origine de l’anthropologie criminelle française. Au départ, il adhère à la thèse du « criminel né » de Cesare Lombroso, son homologue italien. Cesare tente de distinguer une classe héréditaire de criminels grâce à l’apparence physique. En 1881, Alexandre Lacassagne mène sa propre étude : « Les Tatouages : étude anthropologique et médico-légale ». Il va alors remettre en question les explications de Cesare. En effet, il les juge trop simplistes ou exclusives.

En 1894 (selon criminocorpus), Alexandre Lacassagne et Gabriel Tarde créent la revue « Archives d’anthropologie criminelle de criminologie et de psychologie normale et pathologique ». Cette publication a pour objectif de rassembler les scientifiques de tous les champs disciplinaires. Elle permet à l’école lyonnaise d’exister et de mener un débat scientifique pour se démarquer de la théorie du « criminel né » de Lombroso.

Certainement influencé par les travaux de Lacassagne, Charles Perrier commence ses recherches dès 1894. Dans la maison centrale de Nîmes, le médecin des prisons va disséquer la vie et les mœurs des condamnés. L’infirmerie devient son lieu d’observation idéal. De plus, c’est un endroit apprécié par les prisonniers. Les couchettes sont confortables, la pièce est chauffée et la nourriture meilleure. Pendant 5 ans, tout en assumant ses fonctions de médecin des prisons, Charles Perrier va observer la population carcérale.

« On est frappé du nombre considérable d’individus sachant lire et écrire […] Un pareil fait tend à démontrer aussi que l’instruction élémentaire n’empêche pas le tatouage »

Charles Perrier

Tatouage de face du détenu 1718 – souvenirs dʼafrique (1897) @Charles Perrier

Du tatouage chez les criminels

L’étude « Du tatouage chez les criminels » est le 1erchapitre du mémoire « Les criminels ». Charles Perrier analyse la pratique du tatouage en prison avec des statistiques, des observations et des dessins. Il va ainsi étudier plus de 2314 tatouages. Tout d’abord, il rappelle les origines du tatouage. Puis, il décrit le procédé technique et les couleurs utilisées.

Il aborde la douleur et les inflammations liées à l’opération du tatouage. Il évoque ensuite les regrets liés à la peur d’être jugé par la société. Dans son analyse, le médecin répartit les tatoués selon leur nationalité, leur âge, leur niveau d’instruction, leur profession, leurs crimes et délits, etc. Les observations donnent un aperçu de la pratique du tatouage et sa perception par la société, fin du XIX e siècle.

Charles Perrier note ainsi que le tatouage concerne plutôt les jeunes gens, célibataires, qui savent lire et écrire (57 %). Le médecin s’étonne : « On est frappé du nombre considérable d’individus sachant lire et écrire […] Un pareil fait tend à démontrer aussi que l’instruction élémentaire n’empêche pas le tatouage ». Il ajoute que le vagabondage et la prime jeunesse sont des conditions essentiellement favorables au tatouage. Il est donc logique qu’un fort pourcentage de tatoués soit du milieu militaire ou nautique.

Pour compléter son étude, il va également photographier les prisonniers avec le procédé argentique de l’époque : la plaque de verre. Il en publie 8 dans son étude. Cependant, l’exercice reste compliqué. En effet, le médecin explique : « Ce n’est pas sans peine qu’elles ont été obtenues. Le bleu mord difficilement sur les plaques sensibles. Il a fallu toute l’habileté de notre ami A. Robert, pour reproduire aussi nettement l’image des tatouages observés. »

Charles Perrier va publier une édition spéciale de son étude « Les criminels » lors de l’exposition universelle de 1900, à Paris.

Exposition universelle

Charles Perrier publie une édition spéciale de son étude « Les criminels » pour l’exposition universelle de 1900, à Paris. C’est une publication soignée avec une reliure en cuir particulièrement ouvragée. Pour réaliser cette pièce exceptionnelle, il s’entoure alors d’une équipe de 5 détenus. M. (N° 425) et B. (N° 490) sont le comptable et l’aide-comptable au sein de l’infirmerie. Ils l’aident à dresser les statistiques. Le numéro 2544 est bavarois. De sa plus belle écriture, il inscrit les chiffres sur les tableaux du livre. Charles Perrier décide d’embellir ses recherches avec le talent artistique des condamnés.

Ainsi, le hasard fait bien les choses et lui emmène deux dessinateurs de talent dans son infirmerie. Le détenu n° 1659 est un ancien employé de commerce. À sa sortie de la maison centrale, il doit être embauché comme dessinateur à Nîmes. Le deuxième détenu W. (N° 2040) est autrichien. Il était dessinateur et photographe dans un grand journal new-yorkais. Ce dernier va restituer avec une grande précision 92 emblèmes importants sous forme de planche de dessins.

Charles Perrier laisse aux détenus toute la liberté d’orner le livre. Leur sens du détail artistique donne à l’ouvrage son caractère exceptionnel. Cette édition « fait de l’intérieur de la prison fait grand bruit ». C’est à cette occasion que Lacassagne compare l’oeuvre aux « Souvenirs de la Maison des Morts » de Dostoïesvki. Ce livre est une pièce unique que vous pourrez voir au sein de l’exposition « Tatouages », du musée du vieux Nîmes.

1ère exoosition à Nîmes

Sources :

https://criminocorpus.org/

http://www.enap.justice.fr

Livres :

Le catalogue d’exposition « Tatouages ». Je tiens à remercier chaleureusement Aleth Jourdan, conservatrice en chef du Musée du Vieux Nîmes, pour son accueil et sa collaboration.

Du tatouage chez les criminels, Charles Perrier

Les Criminels : étude concernant 859 condamnés, Charles Perrier

Emprisonnement et santé au XIXe siècle : l’exemple des établissements pénitentiaires du département de Seine-et-Oise, Pierre-Olivier Chaumet

Alexandra Bay

+++ Auteure de LOVE, TATTOOS & FAMILY, (ISBN : 2916753214) +++ Co-Fondatrice de FREE HANDS FANZINE +++ TATTOW STORIES +++

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